L’empowerment ou le pouvoir d’agir muselé

Dans un roman, écrit alors qu’elle était déléguée du personnel et membre du CHSCT, Jocelyne Chabert* relate sous forme de fiction le quotidien bien réel d’une syndicaliste au sein d’une multinationale américaine.

Dans son journal, la militante consigne les techniques de manipulation des salariés en vigueur dans 11entreprise.

 » ( … )Il existe une autre méthode encore plus perverse, « l’emporwerment ». Cette technique consiste à faire croire aux salariés qu’ils ont le pouvoir.

Bercés par les messages de la communication interne et de leur hiérarchie, ils se persuadent que le fatras de paperasses qu’ils brassent est important. Par conséquent, ils ne ménagent ni leur temps, ni leurs efforts. Ils sont toujours débordés car il est indéniablement très chic de pouvoir dire: « J’ai 413 courriels en retard » ou encore « je n’arrive pas à prendre tous mes congés ». Ce privilège n’est plus réservé aux seuls cadres supérieurs. Vive la démocratisation de l’entreprise ! Ils sont régulièrement récompensés, soit par un « award », prime honorifique servant à faire oublier la maigreur ou l’absence d’augmentation, soit tout simplement par leur nom écrit en caractères gras dans les faits marquants de la semaine, publiés par leur chef de service ; les bénéfices plus substantiels de leurs efforts revenant bien évidemment à ce dernier.

Il y a bien sûr le petit nombre de ceux qui s’obstinent à penser que leur charge de travail doit tenir dans leurs horaires et persistent à préférer un salaire convenable à des honneurs de pacotille. Ils font leur travail et partent à l’heure. On veut faire de nous des partenaires, des collaborateurs, voire des copains, entre lesquels le tutoiement et l’usage du prénom sont de rigueur. Oubliée la lutte finale au profit du dialogue social et de la concertation. Le plus modeste des employés croit qu’il participe aux choix stratégiques de !’Entreprise… ce qui est bien sûr totalement faux.

En contrepartie, on attend de lui qu’il se sente responsable de la bonne marche de son service et endosse sur ses frêles épaules l’organisation du travail et sa propre sécurité. Ces domaines étaient jadis du ressort de la direction des entreprises, si l’on en croit ce grimoire ringard appelé Code du travail ! Cette technique très en vogue, notamment dans les entreprises dites libérées, tente d’enfermer dans une cage dorée le véritable pouvoir d’agir des salariés, dont chacun fait preuve lorsqu’il s’attache à bien faire son travail et qui transforme en rebelle le plus conformiste. »

Jocelyne Chabert est membre du Groupe Langage (Article de l'Humanité)
L 'Entreprise bananière, éditions Travail réel, 2014

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