Agri – Quand la mobilisation supplante la stupeur : l’union fait parfois encore la force

 

Le décor

Le lycée agro – technologique se situe en province et compte environ 220 élèves (effectif légèrement à la hausse cette rentrée scolaire 2020).

Lycée qui vit dans une certaine quiétude après quelques soubresauts traversés il y a quelques années suite aux agissements d’un chef d’Établissement qui avait cru bon de faire quelques écarts avec la loi. Ces agissements avaient entrainé le licenciement de ce directeur (qui avait été un grand soulagement pour ma part puisque j’avais déposé une plainte pour harcèlement moral en son encontre que j’avais évidement retirée suite à son départ). Cependant le lycée a dû payer la note qui s’est avérée salée. Le lycée remonte, doucement mais surement, la pente et retrouve donc (je me répète) une certaine « quiétude ».

Les acteurs

Tout d’abord, notre ancienne cheffe d’établissement qui, en ce début de rentrée scolaire, a choisi d’aller voir si l’herbe est plus verte ailleurs.

L’actrice principale (à son corps défendant !); Isabelle, enseignante depuis une vingtaine d’années dans notre établissement, mais qui s’affaire, depuis quelques temps déjà, à d’autres taches dont l’expertise de la gestion du temps à grands renforts d’avenants dans son contrat de travail. Je crois même pouvoir affirmer sans risque de me tromper que notre collègue est appréciée de tous !

Isabelle postule même au poste de cheffe d’établissement. Sa candidature est dans un premier temps rejetée mais le lycée, éprouvant quelques difficultés à dénicher l’oiseau rare, se penche plus sérieusement sur sa candidature. Mon petit doigt m’indique même que si elle avait été baptisée, elle aurait eu accès au saint Graal …

Qu’importe notre ancienne directrice avait conclu un deal avec elle en lui confiant pour un mi-temps le poste de directrice adjointe (elle conserve un mi-temps en qualité d’enseignant).

Pas rancunière, en cette fin d’été et en ce début d’année scolaire et dans l’attente de l’arrivée de l’heureuse élue (qui décidément se fait attendre), Isabelle occupe même le fauteuil de cheffe d’établissement. Et je crois encore une fois pouvoir affirmer, sans risque de me tromper, que la rentrée s’est déroulée sans encombre et que Isa a fait le job.

Mi-septembre, une nouvelle directrice débarque (enfin !). Chose curieuse : à son arrivée, elle ne prend pas la peine de se présenter ni au personnel ni aux élèves ni aux parents d’élèves … bref à personne. Peut-être est-elle plus à l’aise en petit comité que devant une grande assemblée ? Cette attitude suscite néanmoins quelques interrogations de notre part tout comme le fait qu’elle semble méconnaitre le mécanisme et les rouages du fonctionnement d’un lycée agricole. Mais comme je ne suis ni apte ni habilité pour juger et jauger sa compétence …

Au demeurant, à mes yeux, notre nouvelle directrice me parait fort sympathique et pourtant …

La Surprise du chef ou plutôt la surprise de la cheffe et du président 

La salle des profs a déménagé durant l’été et Isabelle aménage son bureau (avec goût) dans la désormais ancienne salle des profs et se retrouve (quand elle n’est pas en cours) au cœur du pôle administratif.

Comment Isabelle se sent dans son officiel nouveau poste ? Est-ce que la nouvelle directrice a pris la mesure de son poste elle aussi ? Comment s’articule le travail entre elles ? Et surtout quelle est la nature de leur relation ?

En fait nul ne le sait ! En qualité d’élu CSE et c’est forcément une erreur de ma part, je ne m’en préoccupe guère. Mais d’ailleurs pourquoi s’en faire : Isabelle connait son boulot, elle est compétente, consciencieuse et, je le répète, appréciée de tous donc tout roule du moins telle est mon raisonnement.

Et pourtant…

Et pourtant, un lundi après-midi de la fin novembre, au sortir d’une réunion de direction et à quelques jours de la fin de sa période d’essai, le président du CA surgit dans le bureau de la directrice et demande à Isabelle de rester quelques instants, les autres participants à cette réunion quittant alors les lieux.

Et là, c’est la stupeur : le président indique sans ménagement qu’il est mis fin à sa période d’essai, on lui demande de retirer ses effets personnels du bureau qu’elle occupe, de nettoyer l’ordinateur qu’elle utilise et même de rendre son badge (Isa est tout de même encore prof au lycée et ne peut donc plus y entrer !).

La méthode est violente.

On lui reproche son incompétence, on lui dit même sans l’écrire qu’elle aurait mis le lycée en danger. Notre Isa est sonnée, abasourdie, choquée … A peine commence-telle à comprendre la raison de la visite du président du CNEAP région, le vendredi précédent son éviction.

La nouvelle se repend très vite et, rapidement, tout le personnel du lycée est informé de la nouvelle. Il va falloir réagir.

Quand le lycée se soulève comme un seul Homme.

Le soir même, de 20h30 jusqu’à au moins 23 h (et il en sera de même les jours suivants), une visio conférence est organisée à l’initiative (oh pardon !) de je ne sais plus qui.

Et première surprise, nous comptons les absents sur les doigts d’une main : tout le lycée est rassemblé autour d’Isabelle.

Le soutien c’est bien mais il faut des actes.

Nous décidons à l’unanimité (aucune voix dissonante) que, le lendemain matin à 8h, chaque enseignant prend en charge sa classe, effectue l’appel MAIS libère ses élèves et se retrouve devant le portail du lycée.

Mais attention, nous sommes responsables, les élèves ne sont pas lâchés dans la nature, ils sont regroupés dans la cour, les éducateurs effectuent des rondes. Le mot d’ordre, aucun élève ne sort du lycée (ce sera chose faite).

Seconde surprise : à 8h, tous les profs sont présents devant le lycée sauf bien entendu ceux qui ne peuvent pas en raison du Covid mais même ceux qui n’ont pas cours à cette heure-là sont présents. Tous les enseignants mais pas uniquement puisqu’il y a également des AVS et des éducateurs (et même un éducateur de nuit).

Mardi matin 8 h, début du rassemblement devant le lycée et les élus du CSE (dont votre serviteur) toquent à la porte de la directrice.

« Ça va ? » me demande -t-elle.

Mais non ça ne va pas. Nous lui exposons la situation mais surtout exigeons que le CA et elle-même nous donnent des explications sur la fin de la période d’essai de notre collègue. Mais nous insistons pour que l’on donne des explications non pas seulement aux élus CSE mais à l’ensemble du personnel présent. Si notre demande n’est pas satisfaite, nous resterons devant le lycée.

La directrice s’active pour réunir un CA extraordinaire; nous (élus CSE) allons régulièrement aux nouvelles et dehors on s’active également puisque la presse est présente ainsi que la radio locale.

Nous répétons à l’envi que cette décision de renvoyer notre collègue est violente et qu’elle ne correspond pas aux valeurs humanistes de notre lycée surtout à l’égard d’une personne pour qui « l’agro » est sa famille.

En début d’après-midi, le CA se réunit en présence du président du CNEAP Région. Un petit groupe est présent pour accueillir les membres du CA. Nous apprenons qu’ils n’ont pas été consultés de la décision prise à l’encontre d’Isabelle. Les cours reprennent en début d’après-midi.

En fin d’après-midi, le CA veut bien rencontrer les élus du CSE. Mon collègue étant parti, je me fais accompagner par un prof volontaire. Aucune explication n’est fournie. On nous indique seulement qu’il a été mis fin à la période d’essai de la directrice adjointe sans autre explication mais qu’une proposition lui sera formulée dont la teneur lui sera réservée. J’en profite pour pousser un coup de gueule en indiquant vertement au président du CA que sa manière de procéder est inadmissible et que, pas uniquement ma petite, personne ne le pardonnera (et comme ce genre d’individus ne s’excuse jamais, ma rancœur sera tenace) . Alors ok, ça ne sert peut-être à rien (ou à pas grand-chose) de s’énerver mais, sur le coup et plus tard dans la soirée, cela m’a fait un bien fou.

Nous informons le personnel du lycée encore présent de ce qu’il vient de nous être dit. Evidemment, notre compte rendu ne satisfait personne et nous décidons d’aller tous rencontrer les membres du CA. Bien que nous nous tenons à distance respectable (Covid oblige), les membres du CA quittent les lieux à l’exception de 3 d’entre eux avec qui nous engageons une conversation et exprimons notre ressenti.

La Grève

Bien que cette journée ait été enrichissante, elle ne s’est pas avérée concluante ni décisive. Enrichissante parce que j’ose une nouvelle fois pouvoir affirmer sans risque de me tromper que notre mobilisation : tous ensemble autour de Isabelle lui a apporté énormément de réconfort et de baume au cœur.

Nous décidons le soir même, en visio, de faire grève le jeudi  … de mémoire, il me semble que ce fût le 03 décembre.

Nos revendications ? Elles sont simples : la réintégration de notre collègue à son poste de directrice adjointe, la rencontre avec des membres de tutelle diocésaine et CNEAP ainsi que la création d’un comité d’Etablissement. Des contacts sont pris avec les syndicats puisque ce préavis sera signé par la CFDT et par la CGT. Je me permets d’ouvrir une parenthèse pour remercier chaleureusement Damien SMAGGHE et Christophe ANGOMARD pour leur aide, leur écoute et leurs précieux conseils. Il est primordial dans ces moments d’avoir des oreilles attentives qui savent prendre un peu de hauteur quand nous sommes la tête dans le guidon et dans le feu de l’action.

Arrive donc ce jeudi, jour de grève. Qui est gréviste ou plutôt qui ne l’est pas ?

Tout d’abord, il est important de préciser qu’aucune pression ou commentaire n’a été formulé. Chacun a été libre de son choix. Il me semble également utile de préciser que faire grève résulte d’un choix fort et certains d’entre nous ont indiqué qu’ils ne pouvaient (et qu’ils le regrettaient) pas faire grève. Ce choix, les grévistes mais en premier lieu Isabelle l’a accepté. Une éducatrice nous a ainsi indiqué qu’elle ne pouvait pas faire grève, ok, un autre qu’il ferait grève une heure ou encore une autre que le matin. Nous avons même demandé à nos 5 AVS, en raison de leur statut précaire, de ne pas se déclarer grévistes.  Malgré tout, l’une d’entre elles a été gréviste.

Finalement sont non-grévistes au lycée : la comptable, la secrétaire et le responsable de vie scolaire. Et c’est tout !

Le matin de la grève, nous sommes présent·es devant le lycée et l’après-midi une délégation de 4 personnes (2 profs et les 2 élu·es du CSE) sont conviées à une rencontre avec les membres de nos tutelles.

Tournant décisif de notre combat: il ressort de nos discussions, tout au long de l’après-midi (discussions qui se déroulent dans le respect et l’écoute des arguments avancés par chacun) que la fin précipitée de la période d’essai de notre directrice adjointe n’est pas due à un problème de compétences, lesquelles sont reconnues et validées par tous nos interlocuteurs respectifs. Nous notons cependant la discrétion, pendant ces débats, de notre cheffe d’établissement et du président du CA ; nous insistons bien évidement sur la manière de procéder.

La Cause : pas un problème de compétence mais quoi alors ? Et bien, simplement, on nous indique que le binôme n’a pas fonctionné et que la directrice n’a pas confiance en son adjointe … Bref « ça n’a pas matché » entre elles.

Une proposition va lui être formulée.

La réintégration

Le soir même, nous décidons de reprendre le boulot dès le lendemain. Le préavis est maintenu mais nous attendons de connaitre la fameuse proposition faite à Isabelle avant d’envisager une nouvelle journée de grève.

2 réunions sont programmées rapidement. La proposition demande en effet réflexion, précisions et ajustements avant une éventuelle validation.

Sont présents à ces réunions le président du CA, la cheffe d’Établissement, 2 membres de la tutelle diocésaine (dont l’un sera un peu le chef d’orchestre des débats). Isabelle est accompagnée d’un enseignant lors de la 1ère réunion puis d’une autre et de moi-même lors de la seconde.

Dès la 1ère réunion, il est acté que sa rémunération et son indice resteront identiques. C’est déjà ça.

Un point d’achoppement : le titre de sa fonction. Nos interlocuteurs ne semblent pas enclin à la réintégrer en lui désignant le poste de directrice adjointe. Isabelle insiste arguant le fait qu’elle s’est toujours présentée devant les élèves, les parents d’élèves … en qualité de directrice adjointe et qu’il en va de sa crédibilité. Cependant, la liste de ses missions semble lui convenir. Ceci dit, personne au lycée n’est capable de remplir certaines missions qui lui sont confiés et notamment les emplois du temps et certainement pas la directrice. De là, à penser qu’Isabelle est indispensable au sein de notre Établissement !!?

Lors de la seconde réunion, nous nous accordons pour dire qu’Isabelle ne peut pas accepter une quelconque période d’essai, nous obtenons satisfaction sur ce point.

Finalement, on lui propose le titre d’adjointe en charge de la pédagogie. Il est également décidé qu’un membre de la tutelle (qui assiste aux débats) vienne rencontrer régulièrement, dans un premier temps (chaque fin de semaine), la directrice et donc la nouvelle adjointe en charge de la pédagogie pour faire un point avec elles sur le travail fait, les objectifs à réaliser mais également l’état de leurs relations.

Isabelle a accepté ce poste et je pense pouvoir affirmer (ah ça suffit, je l’ai déjà trop dit !) que nous avons tous remporté collectivement une belle VICTOIRE.

A ce jour, Isabelle semble satisfaite de ses missions et les relations entre la directrice et elle-même semble apaisées. Pourvu que ça dure …

Les enseignant·es ont cependant demandé une rencontre avec le CA pour lui faire part de ses inquiétudes : la communication de la directrice pose problème, l’avancée des projets pédagogiques suscite des interrogations, le recrutement à venir soulève des doutes. Nous avons abordé ces questions lors d’une réunion CSE. Les 2 élus du SE n’ont pas souhaité rencontré les membres du CA estimant que leurs missions avaient été remplies.

Toutefois, une délégation composée de plusieurs profs est allée rencontrer le président du CA et la cheffe d’Établissement accompagnés des 2 membres de nos tutelles ce jeudi 21/01. Ils ont été entendu·es (écouté·es ?). Il en est ressorti notamment qu’un effort dans la communication formelle et informelle doit être accentué .

Les enseignements à tirer ou la morale de l’histoire :

  • Dans la bagarre, on s’aperçoit que les syndicats sont des alliés précieux.
  • Que les élu·es du CSE ne sont peut-être pas que des pantins mais qu’ils peuvent servir d’interface et d’interlocuteurs privilégiés entre la direction et le personnel

Mais, surtout et enfin, ensemble, uni·es, solidaires et déterminé·es nous sommes incontestablement nettement plus fort·es … comme quoi, l’union fait parfois encore la force .

Philippe ANTRESSANGLE
24 Janvier 2021

 

 

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