Née discrètement il y a une petite dizaine d’années, la locution «économie collaborative» a bien des charmes. Le principal est la connotation positive du mot «collaboratif».
Le maître mot est en effet ici «horizontalité ». Ne vise-t-on pas à susciter un partage entre pairs, libres et égaux ?
Des égaux qui partagent généreusement leurs idées, leurs compétences, leur temps, des objets, des services, des biens.
Une économie conçue pour le bien de tous, où la relation entre l’individu et la communauté cesse d’être conflictuelle, pour devenir harmonieuse.
Car c’est des besoins de cet individu que part l’économie collaborative: loin de faire de ce dernier une victime de l’hyperconsommation, elle exalte l’idée de la rationalité de son besoin de consommation.
Responsable, car cette économie-là est aussi une économie économe. Plutôt que de voir chacun se crisper sur sa petite propriété et n’utiliser celle-ci que de loin en loin, puérilement, pourquoi ne pas la rentabiliser en la rendant constamment utile aux autres?
Corollaire de ce corollaire, parce qu’elle ne multiplie pas inutilement les biens, cette socialisation-là est éminemment respectueuse de l’environnement.
Il n’y a pas de doute: personne ne s’en est avisé, mais le communisme est arrivé. Ce n’est pas les soviets plus l’électricité: c’est Internet plus le peer-to-peer sharing *!
Mais si ce présent chante, et chante parfois très bien à nos oreilles, on peut distinguer quelques grosses fausses notes dans sa mélodie. Déjà, la redondance de l’expression devrait mettre la puce à l’oreille. N’y a-t-il pas toujours de la collaboration, dans quelque pratique économique que ce soit? Mais il y a surtout ceci: dans ce qui apparaît comme le plus horizontal des mondes, la verticalité reste aux aguets.
Étant donné qu’un site électronique est une infrastructure dont le coût est bas, le pouvoir qui s’y déploie est surtout d’ordre symbolique. Mais ce capital s’y transforme vite en capital tout court, et ce qui s’y concentre, c’est de la richesse bien réelle (au moins celle que procure la propriété des données, qui n’est pas mutualisée, elle).
Au final, ce qui était donné comme un échange généreux entre pairs est devenu un simple lieu où l’on offre et où l’on achète.
En détournant de beaux mots – collaboration, partage, mutualisation … -, l’économie ubérisée tente vainement de masquer les rapports précaires et inégalitaires qu’elle engendre.
* Partage d ‘égal à égal.
Illustration : Babouse NVO (octobre 2017)