Le 28 mai dernier, le ministre Jean-Michel Blanquer a rendu public son projet de réforme de l’enseignement professionnel. Sans surprise, les reculs sont graves, tant pour les élèves que pour les enseignant·es.
Depuis plusieurs années, la voie professionnelle est dans le viseur du Ministère de l’Education Nationale, avec un double objectif. D’une part, réduire la dépense publique et d’autre part répondre aux exigences d’un MEDEF à la recherche d’une main d’œuvre immédiatement productive et à bas coût. Ainsi, en 2009, le passage au Bac pro en 3 ans avait déjà amputé d’un quart le temps de formation des élèves…
Le miracle de l’apprentissage
Le 22 février 2018, le rapport Calvez-Marcon, avait relancé la charge. Derrière la communication pour « viser l’excellence », il s’appuyait sur le présupposé idéologique que l’apprentissage serait la solution miracle à l’insertion des jeunes, une prétendue solution aussi pour former des jeunes qui ont des difficultés à supporter le cadre scolaire. Un seul but : l’employabilité. Pour les auteur.es, seule la formation en entreprise garantirait l’accès à l’emploi. Et ils n’ont aucun scrupule à priver ces jeunes d’une formation polyvalente d’un certain niveau que le lycée professionnel, malgré tout, continue de dispenser, tant sur le plan professionnel que de la culture générale.
En y regardant de plus près, c’est oublier un peu vite qu’un jeune sur cinq ne termine pas sa formation en apprentissage, que cette voie n’accueille que 30 % de filles et que sur le long terme (critère plus intéressant à retenir), l’insertion professionnelle est meilleure pour les élèves de la voie scolaire.
Qu’importe ces faits, avec le projet Blanquer, chaque lycée pro devra développer l’apprentissage et mélanger dans les mêmes classes des jeunes en « formation initiale » et d’autres en apprentissage, il appelle ça la « mixité des parcours ». Ces jeunes n’auront jamais le même temps de cours puisque les apprentis sont bien plus souvent en entreprise. Ils seront toujours décalés par rapports aux enseignements en étant présent deux jours sur cinq, ou une semaine sur trois, mais ce sera aux profs de s’adapter et aux jeunes de ramer. C’est une véritable catastrophe annoncée.
La question du financement via la taxe d’apprentissage reste entière, laissant craindre une baisse de ressource pour les lycées professionnels.
Diplôme Vs bloc de compétences
Alors qu’un diplôme atteste d’une qualification complète, l’orientation prise est celle de morceler la certification via l’introduction des blocs de compétences. Le choix de ce terme d’ailleurs n’est pas anodin puisqu’il vient du monde de l’entreprise (et de l’évolution managériale des années 80). L’intérêt du patronat est d’avoir à disposition une main d’œuvre à bas coût et immédiatement productive, avec des formations adaptées au bassin d’emploi local. Redécouper le référentiel des certifications en blocs de compétences aura pour conséquences de casser le cadre national des diplômes et impactera directement le lien avec les qualifications, reconnues par les Conventions Collectives (CC) et qui fondent les droits des salarié.es, notamment en terme de rémunération. Parcelliser en blocs de compétences pourra permettre aux employeurs de déroger aux CC pour des salarié.es partiellement qualifié.es. Cela conduira à la précarisation de l’emploi et a encore plus d’individualisation.
Un recul des enseignements et des spécialités
Le projet Blanquer présente déjà les horaires qui seraient applicables à la rentrée de septembre 2019, si nous ne l’empêchons pas. Là aussi, le recul est grave.
Sur trois années, les élèves perdront près de 300 heures de cours sur 2520 ! Près de 12%. Tous les domaines sont visés. Enseignement professionnel, 128 heures en moins. Français-Histoire-Géo : perte de 113 heures. Langues vivantes : moins 84 heures. Un déficit qui ne sera guère compensé par les nouveautés, comme la réalisation d’un « chef d’œuvre » (108 heures sur trois ans).
Priver chaque jeune de lycée professionnel de trois ou quatre heures de cours chaque semaine est révoltant, alors que nous savons tous que ce sont les jeunes les plus en difficultés qui auraient besoin d’un enseignement renforcé, avec de petits effectifs, pour les aider à progresser.
L’objectif est économique : réduire les heures de cours, c’est diminuer aussi le nombre de profs nécessaires.
Par ailleurs, le projet Blanquer va réduire le nombre de spécialités professionnelles. L’enseignement professionnel adapte fréquemment ses diplômes en fonction de l’évolution des techniques et des métiers. C’est logique, mais ça ne veut pas dire pour autant répondre aux exigences à court terme du Medef et des CCI. Blanquer veut créer des regroupements de spécialités dans des « grandes familles de métiers » qui aboutiront à une déspécialisation des formations, c’est-à-dire un appauvrissement des contenus. Cela constituera aussi une menace pour les PLP de matières professionnelles. Déjà, un plan de reconversion est annoncé pour les PLP éco-gestion, avec une réduction de la spécialité Gestion Administration qui avait été présentée il y a à peine six ans comme le nouveau bac pro d’avenir qui remplacerait avec succès les bac pro secrétariat et comptabilité.
Après le passage au Bac Pro en 3 ans de 2009 et sa cohorte de suppression de postes, le ministère entend bien passer « la deuxième couche » aujourd’hui. Pas d’inquiétude : les suppressions de postes ne seront pas annoncées cette année… mais dans un ou deux ans. Dormons tranquille !
Derrière l’opération de communication qui prétend « viser l’excellence », il n’y a pas de proposition sérieuse pour améliorer la préparation à l’accès aux études pour les élèves qui le souhaitent.
Le projet Blanquer envisageait initialement la suppression des LV2. Ce projet a finalement été retiré (repoussé ?) suite à la réaction des organisations syndicales.
Redonner à la voie professionnelle de vrais moyens !
Pour la CGT, la voie professionnelle doit conserver sa double finalité, l’insertion professionnelle mais aussi la poursuite d’études. C’est pourquoi la CGT revendique, par exemple, la création de classes passerelles vers le BTS. Nous avons été entendus. Malheureusement, ce dispositif ne sera ouvert qu’à 2000 jeunes sur l’ensemble du territoire. Une misère…
Pour que la voie professionnelle soit une école qui permette l’épanouissement et la formation des jeunes, il faudra de toutes autres bases et une autre politique : des effectifs réduits pour aider les jeunes en difficultés, du temps dégagé des cours pour les enseignant·es afin de leur permettre de travailler davantage en équipe, des moyens pour équiper les lycées professionnels avec un matériel en phase avec les métiers d’aujourd’hui.
Si l’apprentissage est une voie possible (dans certains cas précis), il ne doit pas être celle qui remplace la voie professionnelle sous statut scolaire.
La vie ne se limite pas à l’emploi et au monde professionnel ! Nous devons garantir à nos élèves un accès à une culture générale et professionnelle de qualité, permettant à chacun.e d’acquérir les moyens de décrypter le monde qui l’entoure et de pouvoir évoluer au cours de sa vie.
On se moque de nous ?
C’est à se demander si le Ministère ne prend pas les professeur·es de Lycée Professionnel pour des imbéciles (enfin, de nôtre côté, on pense avoir la réponse !). Le dossier de présentation est intitulé « Transformer le lycée professionnel : former les talents aux métiers de demain ». Ah bon ? On pensait simplement avoir « des élèves » nous. Des bons, des moins bons, des que l’on fait progresser. Certain·es avec des situations personnelles très complexes, d’autres plus faciles. Mais ça, c’était avant. Maintenant, nous allons récupérer dans nos classes « des talents ». Plus besoin de nous alors ?
Dans la même veine, nous devrons les préparer à leur examen du bac pro. Et que vont-ils devoir présenter nos « talents » ? Un « Chef d’Oeuvre », bien sûr. Véridique.
Alors à la CGT, on veut bien que des élèves soient particulièrement doué·es, que nous les préparions formidablement bien, et que certain·es méritent d’être présenté·es au concours général des métiers.
Mais dans la grande majorité, nos élèves vont tenter de nous présenter à l’examen un travail personnel (ou en groupe), le mieux réalisé possible. Ne faisons pas croire aux élèves, ni aux enseignant·s qu’ils vont tous nous présenter un « Chef d’Oeuvre ». Ca, c’est bon pour les gogos, ou pour les directeurs de cabinets ministériels, qui n’ont sans doute jamais mis les pieds dans un lycée pro…
Le communiqué en version pdf