Être agile a cessé depuis longtemps d’être une caractéristique du corps – avoir de l’aisance et de la vélocité dans ses mouvements – ou de l’intelligence – comprendre vite – pour devenir l’idéal du management et, au-delà de celui-ci, l’idéal de l’entreprise.
Pour cette dernière, l’agilité sera sa capacité à réagir rapidement à l’évolution des conditions du marché.
Depuis la parution du Manifeste agile (2001), de nombreuses études ont paru et de nombreuses méthodologies ont été élaborées. « Agile » est ainsi l’un des nombreux noms derrière lesquels avance masquée une méthode désormais bien connue pour sa nocivité: le « lean manufacturing ». Agile est sa déclinaison « engineering ».
Toutes ces méthodes ont en commun de toujours se formuler dans un discours positif : dans la rhétorique agile, les changements sont toujours harmonieux, l’action est toujours collective, le dialogue est toujours favorisé et débouche toujours sur des vérités partagées. On ira même jusqu’à convoquer la vertu de l’altruisme : l’agilité, c’est « travailler pour l’autre plus qu’avec l’autre ».
Mais qui est cet autre ? On s’avise vite que c’est le client. Qu’en est-il alors du travailleur dans ce nouveau paradigme ? L’agilité, c’est certes la reconnaissance de ses compétences et de ses talents, mais à condition qu’ils soient conformes à la culture de l’entreprise; c’est la responsabilisation des équipes et leur motivation, non pas au service de leur épanouissement dans et par le travail, mais dans le but d’optimiser la performance et la compétitivité et, in fine, la rentabilité.
Il y a donc lieu d’être inquiet, surtout quand on s’avise que la métaphore de la souplesse renvoie à une signification cardinale : l’entreprise agile, c’est celle qui s’est mise en condition de procéder, en permanence, aux changements susceptibles d’assurer son succès.
Et parmi les conditions qui permettent le changement, il y a bien évidemment la malléabilité du personnel : elle n’est plus qu’une variable d’ajustement, modulable au jour le jour et à l’infini. En dépit de ses connotations nouvelles et positives, le mot « agilité » n’est donc, pour le travailleur, qu’un synonyme bien aimable de « flexibilité ». Un professeur de l’École supérieure de commerce de Paris-Europe, chantre de l’agilité, vend d’ailleurs la mèche, avec une franchise brutale et dogmatique : « Devenir flexibie, être flexible, telle est l’exigence du temps. La flexibilité est une exigence, et à ce titre, elle n’a pas à être discutée, elle s’impose, elle va de soi. » Vous voilà avertis : l’agilité, ça ne se discute pas !