L’incubateur de la CGT Enseignement Privé met en débat de nouvelles perspectives pour l’éducation.
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#1 Urgence pour notre santé !
Maternelle, primaire, collège, lycée, lycée Pro, Supérieur … partout la pénibilité du travail s’est aggravée, mettant en danger la santé de tous les personnels de l’éducation, poussant certain·es d’entre nous vers des burn-out, parfois jusqu’à la tragédie du suicide.
De moins en moins de jeunes veulent faire ce boulot dur et mal payé, de plus en plus de collègues démissionnent. Notre quotidien, c’est la surcharge administrative, les effectifs trop nombreux dans les classes, les répercussions de la crise sociale, l’absence de soutien de l’administration et de la hiérarchie quand ce n’est pas des bâtons dans les roues…
Avec la crise épidémique, les difficultés se sont aggravées. Les classes, couloirs, cours et cantines surchargées sont devenues autant de possibilités de clusters. Alors qu’à l’Assemblée, les députés se protègent en diminuant les effectifs autorisés, dans les écoles, les collèges, on a continué à plein régime. Et dans les lycées, le dédoublement s’est fait au gré des rapports de forces. La fatigue s’est accrue pour les enfants comme pour les personnels, avec le port du masque permanent, annonciateur de probables nouvelles pathologies.
Nous exigeons des masques de qualité, gratuits pour tous les enfants et personnels, des aménagements pour tous ceux qui ont une santé fragile, des pauses et temps de repos supplémentaires au quotidien, spécifiés dans les emplois du temps. Le dédoublement de toutes les classes avec un suivi pédagogique pour les élèves non présent·es, assurés par d’autres personnels que les enseignant·es.
La médecine préventive doit devenir obligatoire dans notre secteur. Il faut supprimer le jour de carence qui ajoute une punition minable à celles et ceux d’entre nous qui sont malades.
De plus, le mise en place du « travail à distance » et ses conditions nécessite une réelle réflexion sur les conséquences pour les salarié·es, et en premier lieu les femmes, notre profession étant majoritairement féminine, qui pour nombre d’entre elles subissent le poids écrasant de la « double journée de travail ». Les CHSCT académiques doivent s’emparer de cette question, et intégrer les personnels du privé sous contrat dans leur enquête.
#2 Urgence pour les effectifs
Avec, en moyenne, 26 élèves par classe au collège et 30 en lycée général et technologique (source : site MEN), on est loin de pouvoir assurer un accompagnement personnalisé des élèves. Un climat de confiance, des classes moins chargées sont des facteurs favorisant la réussite. De plus, selon une note de la DEPP, il faut encore ajouter en moyenne 2 élèves par classe dans le privé comparé au public. Remplir les classes pour toucher plus de forfait d’externat, une priorité absolue pour les établissements privés qui n’ont bien souvent qu’une vision comptable des effectifs.
Nous exigeons des classes avec un maximum de 24 élèves en collège et lycée, avec des heures de dédoublement et d’effectifs réduits par classe, cadrées nationalement (et non laissées à « l’autonomie des établissements »). Nous exigeons aussi des heures de concertation rémunérées, afin de garantir le travail collectif.
#3 Urgence pour la jeunesse
La période de confinement lors du printemps 2020 a laissé une partie de la jeunesse livrée à elle-même, avec des conséquences psychologiques, de désocialisation et de désapprentissage. Un travail conséquent pour permettre un rattrapage est indispensable (resocialiser, réapprendre, …). Pour cela il faut des moyens et du temps.
L’école doit redevenir le lieu du vivre ensemble, de lutte contre le sexisme et les discriminations, de sécurité face à la violence sociale et au harcèlement, de l’ouverture sur le monde, de la culture pour tous, de l’espoir et des possibles. Elle doit accueillir tous les jeunes, de toutes origines, avec ou sans papiers. Il n’est pas acceptable qu’un jeune y soit ramené à sa condition sociale extérieure. L’ascenseur social doit retrouver un vrai sens.
L’école que nous portons, celle de l’émancipation, doit tourner le dos à l’élitisme et à la morale du « mérite ». Elle doit devenir pleinement gratuite et donner les clés pour former le·la citoyen·ne éclairé·e de demain, au contraire de ce que l’on tente de nous imposer, une course aux programmes et aux évaluations permanentes, avec des moyens insuffisants.
A l’inverse, à force de réformes et contre réformes, le ministère a réussi le tour de force de casser tous les repères, de compliquer les parcours de formation, de dévaluer les diplômes, créant anxiété et instabilité pour les élèves et les familles. Les réformes du MEN assassinent le peu qu’il restait de l’équité.
#4 Urgence pour les personnels de droit privé
Dans les établissements privés sous contrat, les personnels d’éducation, administratifs et d’entretien ne sont pas des fonctionnaires ni même des agent·es de l’État, quand bien même leur rémunération provient d’argent public, via les forfaits versés aux établissements.
Le manque de personnels est souvent criant, générant surcharge de travail et tensions notamment en cette période de crise sanitaire.
Les grilles de salaires demeurent insuffisantes. Et il faut en finir avec les classifications qui bloquent la progression des salaires et revenir à une progression sur toute la carrière.
Nous exigeons la fonctionnarisation de tous les personnels de droit privé et en attendant, une politique d’embauche de personnels permettant de répondre aux besoins que la situation actuelle impose.
#5 Urgence pour le recrutement
À ce jour, dans l’enseignement privé, 20 % de nos collègues enseignant·es sont DA allant jusqu’à 35% dans certains domaines et donc toujours en situation précaire. Indispensables au bon fonctionnement des établissements, ils·elles peuvent être reconduit·es d’année en année et en même temps, être recalé·es aux concours. Chaque année, les postes ouverts aux concours reculent, aggravant encore cette situation.
« Bon·nes pour enseigner, mais pas titularisé·es ! », un scandale permanent. L’égalité de traitement est encore mise à mal : travail égal = salaire égal ? Ce scandale est destiné à conserver une main d’œuvre sous-payée, précaire et beaucoup plus assujettie aux pressions hiérarchiques.
De même, parmi les personnels de droit privé, les temps partiels imposés qui ne permettent pas de vivre et l’abus de CDD entretiennent une précarité insupportable.
Ne pas augmenter la masse salariale en entretenant la précarité malgré les besoins sur le terrain, telle est la politique identique de l’Éducation nationale et des établissements privés. Et pour des salaires indécents.
Pour entrer dans l’enseignement privé catholique, il faut franchir les obstacles, notamment le pré- accord et l’accord collégial. Entretien d’embauche qui ne devrait pas exister pour les agents publics que nous sommes.
Nous exigeons la fonctionnarisation de tous les personnels des établissements privés sous contrat d’association et un plan massif de recrutement d’enseignant·es, de personnel d’éducation et administratif sous statut de fonctionnaire. Cela passe par le fait que tous les contrats proposés aux concours soient pourvus.
#5 Urgence pour la formation
Un·e enseignant·e formé·e est un·e enseignant·e qui aura des clés pour répondre aux nombreuses questions que posent notre profession. La formation initiale est un levier important pour l’entrée dans le métier. Que penser du projet ministériel qui renvoie le concours en fin de M2 (allongeant de fait le temps d’études et ne favorisant pas l’accès au métier des étudiant·es issu·es des classes populaires) et qui prévoit d’utiliser les étudiant·es de M1 et M2 comme moyens d’enseignement en les mettant en responsabilité sur un tiers temps, rémunérés environ 650€ !
Le concours doit être placé en fin de L3, avec ensuite deux années de formation en tant que fonctionnaire stagiaire rémunéré·e à temps plein, avec une formation de terrain et universitaire de qualité.
Notre métier, comme les autres, nécessite une formation continue qui doit s’effectuer sur le temps de travail, sans en ajouter, ni rogner sur les temps de vacances scolaires. Le temps de travail des enseignant·es ne se limite pas au face-à-face avec les élèves.
#6 Urgence pour l’équipement des personnels
Le confinement et la période de « continuité pédagogique » auront eu au moins un mérite, mettre en lumière que l’enseignement à distance n’aurait jamais pu être possible sans que les personnels n’utilisent leur matériel personnel. Normal ? Non ! Et pourtant, comment travailler sans un ordinateur, une imprimante, un bureau, un forfait internet, des consommables… ? Le système a tenu grâce à l’investissement et au professionnalisme des personnels. Sans compter les risques de Trouble Musculo-Squelettique liés à de mauvaises postures et du mobilier non adapté au travail dans nos habitations.
Notre employeur, l’État, doit prendre en charge le matériel indispensable à l’exercice de notre mission de service public, en y mettant les moyens suffisants. La prime de 150 € au 1er janvier 2021, réservée seulement aux enseignant·es (et excluant de façon scandaleuses les professeur·es documentalistes, que visiblement le ministre ne considère pas comme des enseignant·es !!!), est bien loin de couvrir l’ensemble des frais engagés.150 Euros pour : quel ordinateur, combien de cartouches d’encre, quelle imprimante et quel forfait Internet ?
#6 Urgence pour en finir avec la fracture numérique
À l’heure du téléphone portable et des réseaux sociaux, nos élèves ne sont pas toujours à l’aise avec tous les moyens de communication numérique. Faute d’une vraie éducation au numérique. Faute d’un équipement adapté à la maison. Combien de familles peuvent-elles être équipées pour permettre aux enfants de suivre les cours en visio, de répondre aux exigences du travail à fournir et aux parents de télétravailler, en même temps ?
Combien de jeunes isolé·es, du fait que trop de territoires sont toujours en zone blanche même en proche agglomération quand le déploiement de la 5G est annoncé à grand renfort de com ?
Nous exigeons un service public du numérique à bon marché, avec la couverture internet sur 100 % du territoire et la fin des zones blanches. Nous exigeons aussi une véritable éducation aux outils numériques pour les jeunes. Nous exigeons également que le matériel (tout le matériel) numérique pour les enseignant·es soit pris en charge par le MEN.
#7 Urgence pour les salaires
Les annonces « chocs » de la communication ministérielle n’ont bluffé personne. Le compte n’y est pas. Notre pouvoir d’achat a reculé fortement ces dernières années (sur les 20 dernières années, inflation, +31 %, hausse de la valeur du point d’indice, +12%), le métier d’enseignant·es dégringole dans l’échelle sociale. La France ne rémunère pas les enseignant·es à la hauteur de nos voisins européens. De plus, le point d’indice est gelé depuis 2017. Il était déjà resté inchangé en 2010 et 2016. Et pourtant, une étude de l’OCDE montrait que le niveau des élèves était directement corrélé au niveau des salaires des enseignant·es. Le ministère instaure des primes et aggrave l’individualisation des carrières. Le développement du nombre d’heures supplémentaires ne peut pas être une réponse à la revalorisation des salaires. Et pourtant, depuis avril 2019 est mise en place le système de la deuxième heure supplémentaire non refusable.
Il nous faut dès maintenant une augmentation de la valeur du point d’indice, une refonte des grilles de salaires, avec une augmentation immédiate de 400 €, pour tous les personnels de droit privé et de droit public. Nous nous opposons à l’individualisation des carrières, répartition opaque des promotions du PPCR, revalorisation seulement en début de carrière alors que le budget de l’Éducation Nationale n’est pas entièrement dépensé !
#8 Urgence contre la répression
Face aux mobilisations fortes de ces dernières années, l’administration a multiplié les sanctions contre les personnels, parfois très lourdes : mutations d’offices, suspension sans traitement, rétrogradation d’échelons. Des collègues abasourdi·es découvrent que cette répression est possible. Pour les personnels de droit privé, il ne fait pas bon contester non plus. Combien d’entre eux disent ne pas vouloir se syndiquer, porter des revendications, de peur d’être mal vu·es, d’avoir des emplois du temps dégradés, subir des pressions de la hiérarchie. L’organisation du travail fait de nous des subordonné·es… et nos dirigeants publics et privés ne supportent pas qu’on relève la tête !
Nous exigeons la fin de toutes les sanctions contre celles et ceux qui exercent leur liberté d’expression et de mobilisation. Nous exigeons la fin de la « justice d’exception » qui règne dans l’éducation et le monde du travail, où l’employeur concentre tous les pouvoirs : il mène l’enquête, dirige le tribunal, et décide de la sanction.
#9 Urgence pour les locaux
La crise sanitaire et la mise en place du protocole ont révélé des carences dans les établissements scolaires. Des classes parfois exigües, mal équipées, mal isolées. Des systèmes de ventilation inexistants, conduisant à choisir entre laisser les fenêtres fermées, contrairement aux recommandations, ou les ouvrir et avoir froid en classe. De plus, un certain nombre de bâtiments des établissements d’enseignement privé n’ont pas à l’origine été conçus pour recevoir des élèves. Les infrastructures sportives ne sont pas toujours adaptées, contraignant les collègues d’EPS à gérer au mieux leurs séances de cours, à se déplacer, Covid ou pas Covid.
#10 Urgence contre la marchandisation, défense de nos droits face à la numérisation
La « continuité pédagogique » pendant le confinement a poussé plus avant l’enseignement à distance et le développement de la numérisation de nos métiers.
Mais la numérisation, au lieu de représenter un progrès pour toutes et tous, se traduit par une marchandisation accrue de l’enseignement, véritable vache à lait pour certaines boites privées, qui commercialisent à prix d’or leurs produits pour profiter de l’argent public.
La numérisation devient aussi le vecteur d’une politique d’économie sur le personnel. Se dessine un avenir où quelques profs assureront des « MOOC » pour des masses d’élèves connecté·es, tandis que des chargé·es d’étude sous-payé·es assureront un suivi minimal des élèves, en classe ou par des « SPOC ». La logique de ces évolutions sera de finir par confier ces missions à des boîtes privées.
Nous ne pouvons pas accepter cette marchandisation du service public d’enseignement, préalable à la privatisation et à l’instauration d’une éducation à deux vitesses où ceux qui pourront payer auront un enseignement de qualité, et les autres… Ce délabrement du système éducatif n’est pas sans conséquences sur la cohésion sociale. L’école ayant un rôle émancipateur et de formation du citoyen. Nous refusons un système à l’américaine où seulement les plus aisés ont droit à une éducation de qualité.
Nous exigeons d’inclure dans nos obligations de service le temps de réflexion collectif sur les questions pédagogiques, d’organisation du travail et de développement des outils adaptés, des plus simples au plus modernes, en fonction de nos besoins et de ceux des enfants. Nous exigeons des formations adaptées à nos pédagogies.
Nous exigeons le respect du droit à l’image, la possibilité de refuser d’utiliser ces outils pour les collègues qui ne le souhaitent pas, le respect de la liberté pédagogique et de la propriété intellectuelle.
Pas de marchandisation : c’est au service public d’assurer les moyens d’éducation, y compris les plus modernes !
#11 Des moyens pour l’éducation ! À nous de décider !
Macron et son gouvernement l’ont dit et redit, il faut sauver l’économie « quoi que ça coûte ! »… Mais, l’économie, ce sont des rapports de forces. Les plans de relance distribuent à fonds perdus des centaines de milliards… mais l’argent n’est ni pour les classes populaires, ni pour les services publics.
Pour changer la donne, il s’agira de se mobiliser pour imposer que ces centaines de milliards servent à créer les emplois directement là où ça aura des conséquences positives immédiates : dans la santé, l’éducation et les services utiles à la population.
Dans nos établissements, nombre d’employeurs prétendent n’avoir les moyens ni pour améliorer les locaux, ni pour embaucher et augmenter les salaires. Qu’ils ouvrent les livres de compte qu’on puisse vérifier ! Et s’ils ne peuvent pas satisfaire les besoins des personnels et des jeunes, il faut les nationaliser.
Les mobilisations de ces dernières années sont porteuses d’un autre avenir. À nous de nous y engager, de les amplifier, et d’y porter nos exigences, dans la perspective d’une éducation réellement démocratique.
Nous, salarié·es de l’éducation de toutes catégories, nous sommes les mieux placé·es avec les parents, avec les élèves, avec nos organisations syndicales, les associations pour l’éducation populaire, pour décider collectivement et démocratiquement ce qui serait le mieux pour l’éducation, les jeunes, les personnels.
Ces transformations vitales et urgentes, nous ne les obtiendrons pas dans les « Grenelles » ou dans les salons ministériels. À l’heure où la récession de l’économie mondiale impose ses reculs dans tous les secteurs, nous ne pourrons compter que sur nous-mêmes, nos mobilisations, pour préparer une autre éducation, écrire un autre avenir.
C’est le débat que la CGT Enseignement privé souhaite engager avec toutes celles et ceux qui se sentent concernés par ces questions… il y a urgence !