Réforme du Bac et du lycée : de la théorie à la pratique…

 

Au fur et à mesure que le ministère dévoilait sa réforme du lycée (général et technologique) et du bac voulue par Jean-Michel Blanquer, la CGT-EP en dénonçait les effets négatifs et prévisibles, pour les élèves et les personnels. A ce stade, il nous apparaît important de faire un point. Nous avions finalement peut-être bien raison…

Pour rappel, cette réforme s’inscrit dans un contexte de suppressions de postes de fonctionnaires et d’agents publics. Dans le but de « remuscler le bac » et au prétexte d’une lourdeur d’organisation, cette réforme a été menée à grande vitesse, pour une mise en place dès la session 2021, juste avant les présidentielles de 2022… et ceci malgré l’opposition des organisations syndicales dont la CGT, des associations disciplinaires, d’associations de parents d’élèves… Preuves d’un amateurisme ? Début janvier, le ministre annonce des « aménagements » pour pallier les problèmes non anticipés (conseils de classe, niveau des élèves…)

On se retrouve dans une logique de développement de l’autonomie des établissements accrue, de perte de repères, d’une orientation libérale, dont les élèves et les personnels risquent fort de continuer à faire les frais…

L’application de cette réforme continue d’interroger tant du point de vue pédagogique et matériel que de celui de l’égalité de traitement des élèves sur le territoire, sans prise en compte des réalités de terrain.

La CGT poursuit la défense et l’information des collègues, et continue le combat pour un lycée plus égalitaire, une école émancipatrice et des conditions de vie et de travail acceptable pour les personnels.

Le nouveau bac, comment ça marche ?

En 1ère générale, l’élève choisit 3 spécialités (4h/semaine et par spécialité, soit 12h/semaine), dont une sera abandonnée en Terminale (6h/semaine et par spécialité, soit 12h/semaine).

En lycée GT, la note du bac se décompose en :

  • 10 % de la moyenne des bulletins scolaires de 1ère et Terminale,
  • 30 % des notes d’E3C (Épreuves Communes de Contrôle Continu) : Enseignement scientifique (LG), mathématiques (LT), Histoire-Géographie, LVA, LVB, EPS,
  • 60 % des notes d’épreuves finales (français – anticipée-, philosophie, les deux spécialités conservées, le grand oral).

L’évaluation est permanente. Avec ce système, en lieu et place de deux temps d’évaluation (fin de 1ère et fin de Terminale), les élèves se retrouvent en évaluation toute l’année.

Classe de Première Trimestre 1
Trimestre 2 HG / LVA / LVB mathématiques *
Trimestre 3 HG / LVA / LVB mathématiques */enseignement scientifique**/ spécialité abandonnée / français
Classe de Terminale Trimestre 1
Trimestre 2
Trimestre 3 HG / LVA / LVB /enseignement scientifique** / mathématiques* et les épreuves finales (les 2 spécialités, la philosophie et le grand oral)
EPS en contrôle continu toute l’année de Terminale
*voie technologique ** voie générale
Le choix des spécialités à l’épreuve du terrain

Le ministère vantait sa réforme à grand renfort de communication en axant sur la liberté pour les élèves de choisir leurs enseignements. Force est de constater qu’il s’agit là bien d’un leurre.

D’une part parce que toutes les spécialités ne sont pas proposées dans les établissements (8 en général) et d’autre part parce que dans certains établissements, ou bien des regroupements étaient imposés ou bien des triplettes ont été refusées pour cause d’incompatibilité d’emploi du temps.

Quand une spécialité n’existe pas dans un établissement, un élève extérieur ne peut être admis à la suivre que s’il reste des places…

La DGESCO écrivait en mars 2019 « les organisations mises en place doivent favoriser la meilleure satisfaction possible des choix des élèves ». Tout est dans « la meilleure »

Et le CNED ? Il est possible de suivre une spécialité non proposée (notamment celles qui sont rares) exclusivement si l’académie a passé un accord avec le CNED. Si tel n’est pas le cas, l’inscription à la formation n’est pas possible.

Le choix des spécialités est fortement corrélé au projet d’orientation de l’élève, du fait des attendus de Parcoursup. Quels conseils donner lorsque ces attendus ne sont pas clairement indiqués ?

Choix des spécialités, la communication du ministère

A cette rentrée, auto-satisfecit du ministère : « 47 % des élèves ont fait des choix qu’ils n’auraient pas pu faire avant avec les séries S, ES et L ».

Certes, mais les incertitudes concernant les attendus de Parcoursup demeurent et la question de la spécialité qui sera abandonnée n’est pas forcément tranchée pour chaque élève… Ainsi que sur les poursuites d’étude avec des triplettes « atypiques ».

Pour un quart des élèves, le choix s’est porté sur la triplette maths/physiques/SVT contre 51 % d’élèves en 1ère S en 2018.

La formation en vacances

La mise en place de la réforme a été l’occasion pour le ministère d’expérimenter les formations sur temps de vacances (pour NSI par exemple).

Une indemnité a été créée (décret du 06 septembre 2019).

Chacun doit vérifier qu’il a bien été rémunéré à ce sujet. La CGT rappelle son opposition aux formations (qui sont du temps de travail) sur temps de vacances scolaires.

« Prof principal », bonjour galère…

La circulaire du 11 octobre 2018 alourdissait déjà considérablement la charge de travail des professeurs principaux, notamment concernant l’aide à l’orientation.

Maintenant, il faut y ajouter la gestion des équipes pédagogiques! Comment s’y retrouver avec une classe qui passe la moitié de son temps « éclatée », et des équipes d’une vingtaine de collègues au moins ? Le suivi des élèves s’en trouvera impacté. Quant aux conseils de classe, tous les membres de l’équipe y assisteront-ils·elles ?

Témoignage : « mon coup de gueule : cette réforme me crée un surplus de travail en tant que prof principale de 1ère générale. J’ai la chance, je suis tronc commun, je connais donc mes 35 élèves ! Quand j’écris aux profs de ma classe, j’en sélectionne 21, plus moi = 22. Pour les réunions bilan, je vais donc me coltiner les commentaires des 21 profs ! J’ose pas imaginer les conseils… qui viendra, qui ne viendra pas… L’indemnité de 1ère ?? 906,24 € / an. En 6e, 1 245,84 € * an. On se fout de qui là ? »

Fin de l’égalité de traitement sur le territoire

La valeur nationale du bac avec des épreuves identiques communes à tou·tes les candidat·es ne sera plus de rigueur, actant de fait une rupture d’égalité de traitement des élèves sur le territoire.

Il y a fort à parier que pour leur recrutement post-bac, le supérieur s’intéressera aussi à l’établissement l’origine du·de la candidat·e. Il y aura les élèves des bons lycées et les autres.

Lors de notre enquête de rentrée, 75 % des participant·es estimaient que le bac perdait sa valeur nationale.

Les E3C : le grand flou

Tout enseignant·e a à cœur de transmettre un savoir, développer l’esprit critique de ses élèves dans sa discipline, et de les préparer au mieux aux examens. Dans le contexte de cette réforme, pas facile… Les sujets seront choisis dans une banque nationale de sujets (BNS) pour de premières épreuves en janvier/février. Cette BNS n’a été accessible aux enseignant·es que le 9 décembre! Il est difficile de préparer correctement les élèves sans connaître précisément les règles du jeu. Les E3C obligent les enseignants à une progression « dictée et uniformisée » antinomique à la liberté pédagogique, induisant de fait un surcroît de travail. Ce surcroît de travail destiné à assurer les notes pour le BAC, sera-t-il rémunéré par une indemnité de sujétion ? Rien n’est dit à ce jour…

Organisation des E3C : la note de service du 23 juillet 2019 en précise les contours, vaguement. Seule certitude, elle relève de chaque établissement. Elle se fait « dans la mesure du possible, dans le cadre des emplois du temps normaux des élèves. Il est conseillé d’éviter la banalisation d’un ou plusieurs jours pour l’organisation des épreuves ». Faut-il comprendre que lorsqu’une spécialité est proposée pour trois groupes à des moments différents de l’emploi du temps, l’équipe propose trois sujets différents (surcharge de travail et rupture d’égalité de traitement entre les élèves du même établissement) ? Quant aux modalités de passation, que fait-on ? Venir 20 minutes avant ? Combien de surveillant·es ? Disposition des salles ? Du point de vue logistique, des couacs sont à prévoir… Les établissements gèrent…

En cas d’absence du candidat pour un motif dûment justifié ? Ce dernier sera convoqué à une épreuve de remplacement (qui peut avoir lieu jusqu’à la fin de la série des épreuves communes de Terminale). Un travail supplémentaire de préparation à anticiper donc…

La CGT avait alerté  sur les problèmes techniques et pédagogiques que posaient ces épreuves : organisation, lourdeur  de la procédure, inégalités des conditions de passage et de traitement entre les établissements et donc entre les élèves.

LA pression est mise sur tous  les personnels (enseignant·es et de vie scolaire) pour une préparation dans les moins  mauvaises conditions (édition de sujets, plannings de passage, préparation des salles, scan des copies…)

La CGT-EP demande de renoncer à cette session d’E3C.

La correction d’une copie de bac, c’est 5€. Et une copie d’E3C, c’est combien ?

Au Lycée Professionnel, les CCF (Contrôles en Cours de Formation) donnent lieu à des épreuves régulières organisées au sein des établissements, préparées et évaluées par les collègues, et qui entrent en compte dans les notes de l’examen (CAP ou BAC Pro notamment).

Toute ressemblance avec les E3C (Épreuves Communes de Contrôle Continu) du BAC 2021 n’est pas fortuite. Une lourde charge de travail est reportée sur les enseignant·es, en remplacement d’épreuves terminales.

Jusqu’en 2015, les enseignant·es qui organisaient des CCF en Lycée pro étaient rémunéré.es pour cela (un peu plus de 100 euros par épreuve).

Depuis 2016, le paiement des CCF a été remplacé par une indemnité annuelle de 400€, versée en fractions mensuelles aux enseignants qui enseignent au moins 6h en 1ère ou Terminale Bac Pro, ou en CAP. Pour la CGT, une rémunération du même type doit être mise en place pour les enseignant.es du lycée général et technologique, même si nous préférons une augmentation de salaire à une indemnité. Vite !

Des spécificités dans l’enseignement privé ?

Il y a fort à parier que nos directions vont s’emparer de cette réforme avec beaucoup de bonne volonté pour jouer les bons élèves et pour encore plus se démarquer et accentuer la concurrence avec les autres établissements dans le but de capter un maximum d’élèves.

Par ailleurs, sans réelles structures de contrôle et/ou de concertation, l’opacité va perdurer concernant l’utilisation des moyens et de la part modulable ou bien concernant les choix de maintiens ou non de certaines spécialités…

Il est fort probable que les chefs d’établissement dans le privé sauront aussi mettre la pression sur les équipes pour que les notes soient les meilleures, quitte à les gonfler de façon artificielle. Il est aussi probable que certains collègues soient incités à « sur noter » pour garder leur spécialité en terminale. La concurrence et l’atomisation des individus sont les grands principes de cette réforme. Et plus de clientélisme ?

Pas de panique, un comité de suivi est en place !

Pour accompagner la réforme, le ministère a mis en place un comité de suivi de la réforme du bac et du lycée général et technologique, élaboré comme un outil de communication. Un méli-mélo de représentant·es du ministère, des rectorats, des inspecteurs·trices, des chefs d’établissement, des fédérations de parents, des organisations lycéennes et des organisations syndicales, présidée par Pierre Mathiot…

La CGT Enseignement Privé y a été invitée en tant qu’organisation représentative dans le privé sous contrat. Sans être dupes de la finalité essentiellement, une pseudo concertation, nous avons décidé d’y aller pour être les yeux et les oreilles de nos collègues, savoir ce qu’il s’y dit.

Notre 1ère participation nous a confortés dans notre analyse. Vu de la rue de Grenelle, tout va bien ! Modulo quelques ajustements à la marge… Alors déni ou mépris assumé  ?

Et notre métier dans tout ça ?

Pour un nombre croissant de nos collègues, notre métier manque de reconnaissance et de considération, générant une souffrance au travail qui devient de plus en plus évidente : hausse des effectifs par classe (35 à 40 élèves), perte de repères et du sens du travail, surcharge de travail, déstabilisation… S’ajoute à cela une formation continue bien souvent insuffisante, voire inexistante, qui induit un travail de préparation nettement plus important durant les congés d’été. Nous subissons un management aux conséquences délétères. L’image du « prof » toujours en vacances, qui n’a que 18h de cours, bien payé ne contribue pas à améliorer les choses ; image entretenue par un ministre fier d’annoncer une hausse de salaire de 300 €…

Ceci nous amène à nous interroger sur la prise en charge de ce mal être par notre employeur, avec quels moyens et quelles structures, à l’heure de la disparition des CHSCT.

Comment dès lors rendre le métier attractif ? Le ministère a sa réponse, inhumaine : de la com’, des mails, des vidéos…

Du côté des familles

La pression va être forte pour le choix des spécialités et même du « bon » choix. Le déterminisme social  « va tourner à fond » : ceux qui « savent » choisiront bien. Certain·es ont déjà compris qu’un marché s’ouvrait : un phénomène inquiétant, le développement des coaches en orientations.

Si l’individualisation du parcours paraît séduisante, il s’agit bien d’un discours libéral dangereux !

La CGT revendique 

  • une école qui permette à tou·tes de réussir et qui n’a pas comme fonction de trier les élèves
  • une école qui fournit une culture générale et technologique commune, qui émancipe et permet la formation de citoyen·nes éclairé·es
  • le retrait de la réforme du bac et du lycée telle qu’elle est présentée
  • une diminution des effectifs par classes (24 maximum en lycée)
  • son attachement au bac comme 1er grade universitaire
  • son opposition à l’annualisation du temps de travail et son attachement à la liberté pédagogique.
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