Évaluer; c’est d’abord mesurer et apprécier la valeur d’une chose ou d’une action de la vie quotidienne, le plus souvent d’ailleurs sans trop y penser.
Si on écoute les managers ou certains responsables politiques, on devrait passer son temps à évaluer : le vendeur après réception – ou non, d’ailleurs – de son produit acheté en ligne, l’opérateur(trice) du centre d’appels qui s’efforce de résoudre votre problème dans le minimum de temps possible, la caissière (clic est soumise aux cadences, mais est-elle souriante !). Rassurez- vous, ce n’est pas à sens unique: vous êtes, vous aussi, évalué·e. Tous azimuts, même par la hiérarchie (n+1, n+2, etc.); par les collègues; par vous-même éventuellement (autoévaluation, très à la mode); par les usagers, les clients et les fournisseurs (évaluation à 360°).
Les pratiques du management moderne se régalent de notations, de statistiques, de pourcentages, tous ces beaux indicateurs qui donnent une allure scientifique, objective, à l’appréciation de votre qualité de « collaborateur ». Si vous réagissez mal et regardez cela de travers, c’est que vous n’êtes pas moderne ou avez quelque chose à cacher ; peut-être les deux ! C’est que celui qui évalue, on aimerait bien des fois l’évaluer aussi. Ou évaluer le temps perdu par un si grand nombre de gens à ce type d’exercices répétés qui ne s’appuient que sur une vision limitée – et très subjective – du travail réel. Le cas type est l’évaluation individualisée d’un travail qui n’a de sens que dans son rapport à celui des autres, comme la plupart des activités aujourd’hui..
Et puis, il y a le « must »: l’évaluation des politiques publiques. Ça on en parle mais curieusement on évite de s’y attarder. Par exemple, l’évaluation de la privatisation du fret ferroviaire en 2006; l’évaluation de l’effet sur l’emploi des réformes du marché du travail mises en œuvre depuis trente ans; ou encore celle de la réforme Bachelot des hôpitaux en 2009. Dans ces domaines, on se passe allégrement de l’évaluation. Lorsqu’elle est prévue (comme lors de l’adoption du CICE ou du pacte de responsabilité), on préfère glisser pudiquement les rapports réalisés sous le tapis.
Pour vous, pour le salarié, c’est simple, il s’agit d’évaluer en toute « objectivité » le respect de la consigne ; pour l’État, on additionnera une nouvelle réforme à la précédente pour faire oublier le bilan. Pour les grandes entreprises, on se contentera de noter que le comité des rémunérations n’est, décidément, pas un comité d’évaluation des performances !
Mise au service du débat démocratique, l’évaluation pourrait être utile si elle était portée collectivement par les citoyens et les travailleurs, mais elle n’est, aujourd’hui, qu’un outil supplémentaire pour exacerber la concurrence de tou·tes contre tou·tes.
Illustration : Babouse NVO (Mai 2018)