La CGT analyse l'accord de classification EPNL 2024 en version imprimable
Le Contexte
Tous les 5 ans, le Code du travail impose d’ouvrir des négociations dans les branches sur les systèmes de classification, dans ce cadre des négociations se sont ouvertes depuis septembre 2022 pour notre convention collective EPNL. La CGT a participé à ces négociations jusqu’en juillet 2023, date à laquelle elle en a été exclue à la suite d’un arrêté de représentativité qu’elle conteste en justice.
L’objectif partagé de ces négociations était de :
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- De désensibiliser le début des grilles des strates 1 et 2 des augmentations du SMIC.
- De revoir les grilles pour limiter l’écrasement et le chevauchement. La strate 1 et 2 se superposent presque entièrement.
- De revoir les fonctions et critères classant
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Mais les employeurs ont vite ajouté d’autres objectifs : abandonner l’indexation sur un point et abandonner les éléments de classification liés à la qualification nécessaire à un poste. Concrètement leur proposition était d’abandonner les fonctions et strates qui renvoient à des équivalences de niveau diplôme nécessaire, pour baser tout le système sur les critères classant. Les définitions des degrés de critères classant se basent sur le « comment » est réalisé le travail, elles sont très subjectives et reposent intégralement sur l’interprétation des textes faite par chaque employeur. Il s’agissait de ne plus rémunérer le « quoi », niveau de la tache à réaliser, mais le « comment » la tâche est réalisée. Pour cela ils ont proposé de multiplier par deux les degrés et définitions dans chaque critère classant, la somme de ceux-ci renvoyant à une dizaine de paliers correspondant chacun à un salaire minimum en euros :
Degré 1 | Degré 2 | Degré 3 | Degré 4 | Degré 5 | Degré 6 | Degré 7 | Degré 8 | |
25 | 40 | 50 | 60 | 80 | 90 | 100 | 110 | |
Technicité et/ou expertise | 25 | 40 | 50 | 60 | 80 | 90 | 100 | 110 |
Responsabilité | 25 | 40 | 50 | 60 | 80 | 90 | 100 | 110 |
Autonomie | 25 | 40 | 50 | 60 | 80 | 90 | 100 | 110 |
Communication | 25 | 40 | 50 | 60 | 80 | 90 | 100 | 110 |
Management | 50 | 60 | 80 | 90 | 100 | 110 | ||
mini | 100 | maxi | 550 |
pallier 1 | 100 | 145 | X€ |
pallier 2 | 145 | 170 | X€ |
pallier 3 | 170 | 220 | X€ |
pallier 4 | 220 | 250 | X€ |
pallier 5 | 250 | 300 | X€ |
pallier 6 | 300 | 360 | X€ |
pallier 7 | 360 | 450 | X€ |
pallier 8 | 450 | 500 | X€ |
pallier 9 | 500 | 550 | X€ |
Cela revenait à ne plus juger de la rémunération sur le niveau nécessaire pour faire un travail, mais uniquement sur le comment l’employeur juge qu’il est réalisé. L’exact inverse de ce que revendique la CGT : un métier, une qualification, un salaire. La rémunération aurait été entièrement conditionnée par l’arbitraire patronal propre à chaque établissement. Devant la levée de boucliers des syndicats, cette proposition a vite été abandonnée, mais pas la volonté de faire disparaitre l’indexation sur un point. C’est ce qui est au cœur de l’accord soumis à signature le 9 février 2024. Du fait de notre exclusion de la représentativité, nous n’avons pas pu assister à cette deuxième phase de négociation, mais nous nous sommes procuré le texte final signé par la CFTC, mais refusé de façon majoritaire par la CFDT et le SPELC.
Analyse de la CGT :
L’accord adapte le système actuel en supprimant l’indexation sur un point au profit d’une expression tout en euros, il vient aussi supprimer des degrés en strate I et II et revaloriser les montants en euros. Cet accord s’appliquerait progressivement sur 2 ans pour arriver en septembre 2025 aux grilles ci-dessous :
Degrés | Strate I | Strate II | Strate III | Strate IV |
4 | ||||
5 | Mini strate III en € | Mini strate IV en € | ||
6 | Mini strate II en € Sup. à Strate I, 12 |
Salaire inférieur + 100 € |
Salaire inférieur + 200 € |
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7 | SMB | Salaire inférieur +30 € |
Salaire inférieur + 100 € |
Salaire inférieur + 200 € |
8 | Salaire inférieur +30 € |
Salaire inférieur +30 € |
Salaire inférieur + 100 € |
Salaire inférieur + 200 € |
9 | Salaire inférieur +30 € |
Salaire inférieur +30 € |
Salaire inférieur + 110 € |
Salaire inférieur + 200 € |
10 | Salaire inférieur +30 € |
Salaire inférieur +30 € |
Salaire inférieur + 110 € |
Salaire inférieur + 200 € |
11 | Salaire inférieur +30 € |
Salaire inférieur +30 € |
Salaire inférieur + 110 € |
Salaire inférieur + 200 € |
12 | Salaire inférieur +30 € |
Salaire inférieur +30 € |
Salaire inférieur + 130 € |
Salaire inférieur + 200 € |
13 | Salaire inférieur +30 € |
Salaire inférieur + 130 € |
Salaire inférieur + 200 € |
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14 | Salaire inférieur +30 € |
Salaire inférieur + 130 € |
Salaire inférieur + 200 € |
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15 | Salaire inférieur +30 € |
Salaire inférieur + 130 € |
Salaire inférieur + 200 € |
Rappelons les objectifs partagés :
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- Désensibiliser le début des grilles des strates 1 et 2 des augmentations du SMIC.
- Revoir les grilles pour limiter l’écrasement et le chevauchement. La strate 1 et 2 se superposent presque entièrement.
- Revoir les fonctions et critères classant
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Pour commencer l’accord ne comporte rien sur les fonctions, mais surtout rien sur les définitions des degrés de critère classant qui sont pourtant le principal problème d’application de la classification sur le terrain.
La suppression des premiers degrés de strate 1 et 2 vient répondre à la désensibilisation au SMIC :
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- La strate 1 s’écarterait de 83€ contre 17€ actuellement
- La strate 2 s’écarterait de 233€ contre 42€ actuellement
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La revalorisation plus importante de la strate 2 par rapport à la strate 1 répond au problème du chevauchement. Mais les suppressions de degrés viennent en revanche aggraver l’écrasement de ces deux grilles :
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- En strate 1 la différence entre le minimum et le maximum était de 158€ contre 120€ dans le système proposé.
- En strate 2 la différence entre le minimum et le maximum était de 370€ contre 240€ dans le système proposé.
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Ce troisième objectif n’a pas été tenu, car il aurait nécessité de ne pas supprimer de degrés et donc d’augmenter uniformément tous les niveaux, ici seuls les débuts de grilles sont augmentés de façon significative. Le même processus d’augmentation dégressive a lieu dans toutes les strates, globalement les montants proposés pour les salaires minimums conventionnels sont tous en hausse, mais cela est très variable de quasiment rien 0,017% à 10,6 %.
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- De 3,7% à 0,017% pour la strate 1
- De 10,6% à 2,8% pour la strate 2
- De 6,4% à 2,5% pour la strate 3
- De 2,1% à 1,8% pour la strate 4
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Ce sont les seuls éléments favorables de cet accord, il est significatif pour les salariés classés aux débuts de chaque strate, mais faut-il encore que les employeurs jouent le jeu aux NAO nationales 2024 et 2025 pour corriger les montants proposés de l’inflation prévisionnelle. L’inflation est annoncée autour de 2,5% en 2024 et encore 2% en 2025, soit 4,5% sur la durée d’application de l’accord.
Le reste est extrêmement inquiétant pour nous, la suppression de l’indexation sur un point produira de graves conséquences à long terme :
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- Les salaires ne seront plus indexés entre eux c’est-à-dire que l’on pourra décider de les augmenter dans une strate et pas dans l’autre ou de façon moindre. Si le SMIC rattrape la strate I on pourra décider de l’augmenter uniquement elle, alors qu’une augmentation du point augmenterait tous les salaires. On peut déjà prédire un tassement important des salaires à l’avenir et donc une baisse de reconnaissance des qualifications. Rappelons que la dernière réforme importante de classification en 2010 a fait passer les écarts de salaires entre le minimum et le maximum de 1,64 SMIC à 1,41 SMIC aujourd’hui.
- Les écarts entre les degrés seront gelés, avant quand on augmentait le point : la valeur en euros des 30 points séparant deux niveaux de degrés augmentait aussi, ici l’écart restera de 30€. Ce qui produira aussi mécaniquement un tassement des salaires.
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Les autres éléments de rémunération sont aussi revus : l’ancienneté, la plurifonctionnalité, les points supplémentaires négociés, les points de formation, d’analyse triennale, ou d’implication.
Les indemnités d’ancienneté et de plurifonctionnalité sont gardées et revalorisées en euros via la valeur du salaire minimum de branche, SMB, strate 1 8 degrés 1850€ brut, les autres disparaissent. Ces revalorisations compensent telles les choses ?
Dans le système actuel deux éléments garantissaient une évolution certaine du salaire : l’ancienneté chaque année (6 points en strate 1 et 5 points dans les autres) et le minimum de 15 points de l’analyse de la classification tous les 3 ans (qui remplace en 2022 les 25 points de formation tous les 5ans). Ce qui revenait en moyenne à 11 points supplémentaire par an en strate 1 et 10 points dans les autres strates. Dans le nouveau système, les 15 points, tous les 3 ans disparaissent et le montant de l’ancienneté augmente :
Maintenant Ancienneté + Analyse triennale | Proposition d’ancienneté | |
Strate 1 par année | 11points = 18,09€ brut | 1% du SMB = 18,50€ brut |
Strate 2 par année | 10 points = 16,44€ | 0,9% du SMB = 16,65€ brut |
Strate 3 par année | 10 points = 16,44€ | 0,7% du SMB = 12,95€ brut |
Strate 4 par année | 10 points = 16,44€ | 0,6% du SMB = 11,10€ brut |
On assiste à un maintien pour la strate 1 et 2 et à une baisse pour la strate 3 et 4.
Vient en plus s’ajouter une décision perverse : le nouveau calcul de l’ancienneté aura pour départ l’application de l’accord en septembre 2024, les années d’ancienneté précédentes ne seront plus prises en compte et seront converties en une indemnité en euros. Concrètement toutes les années précédentes seront gelées, l’indemnité d’ancienneté acquise avant 2024 ne bénéficiera plus d’augmentation lors des négociations. Avant quand le point augmentait, la valeur des points liés à l’ancienneté augmentait aussi, maintenant seule l’ancienneté acquise à partir de 2024 augmentera quand le SMB sera renégocié. Avec l’inflation c’est une grosse perte de pouvoir d’achat qui se profile !
Ce système d’indemnité gelée en euros concerne aussi les points de formations, les points supplémentaires négociés ou l’implication professionnelle qui sont supprimés. C’est la principale raison pour laquelle les employeurs veulent la disparition du point, c’est pour à l’avenir ne plus augmenter les rémunérations annexes qui peuvent être importantes chez les cadres pour qui les grilles ne correspondaient plus à la réalité des salaires du marché, ou dans les établissements avec une bonne négociation collective pour les salariés.
Enfin les indemnités de plurifonctionnalité sont converties avec le même système que l’ancienneté :
Plurifonctionnalité | Cas 1 fonction avant | Cas 1 fonction après | Cas 2 fonctions et plus avant | Cas 2 fonctions et plus après |
Strate 1 et 2 | 25pts 41,10€ brut |
2,5% du SMB 46,25€ brut |
50pts 82,21€ brut |
5% du SMB 92,5€ brut |
Strate 3 | 70pts 115,09€ brut |
6% du SMB 111€ brut |
70pts 115,09€ brut |
6% du SMB 111€ brut |
Il n’y a pas de différence significative, on a une petite augmentation en strate 1 et 2 et une petite diminution en strate 3.
Avis de la CGT
Alors que faut-il en penser globalement ?
Tout est dit dans l’accord lui-même :
« Article 4.1.4.3 : Négociation d’entreprise et de gré à gré »
En travaillant les grilles et en les exprimant en Euros, en supprimant l’implication professionnelle, en rappelant le rôle de la Branche sur le SMH, les organisations représentatives signataires appellent de leurs vœux la construction d’une vraie politique de rémunération au sein des établissements.
Elles rappellent que les éléments décrits dans la sous-section 3 du présent chapitre sont des éléments relatifs aux salaires minima.
Quand l’établissement est doté d’une section syndicale, une négociation sur les salaires est organisée obligatoirement.
Les établissements sont invités à négocier des salaires supérieurs en fonction de leurs possibilités financières même en l’absence d’une telle obligation.
Les organisations représentatives signataires invitent également à négocier des salaires supérieurs aux SMH lorsqu’ils apparaissent insuffisants compte tenu de la tension sur le marché de l’emploi. Elles dénoncent la pratique de surclassement observée au motif que le salaire minimum de branche ne correspondrait pas à ses attentes ou à ce prix dit de « marché ».
Le recours à un système de primes, de rémunérations complémentaires ou différées participe de la démarche. »
Les buts principaux sont clairement exprimés :
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- Diminuer l’impact de la négociation collective de branche sur les salaires et la renvoyer dans les établissements.
- Encourager les rémunérations hors salaire, en prime, plutôt qu’un avancement dans la classification.
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La négociation de la valeur du point conventionnel garantit un minimum de justice et d’égalité sur tout le territoire. Dans ce moment de forte inflation, il est irresponsable de renvoyer la responsabilité de la progression salariale dans nos établissements ! La culture de négociation y est quasi inexistante, la plus grande partie des OGEC sont des petites écoles ou les chefs d’établissements ont un temps et des moyens limités, la gestion du personnel y est assurée en grande partie par les UDOGEC qui réalisent les paies. Dans ces structures, cela sera très préjudiciable pour les salariés, la négociation ne s’y fait jamais. La négociation de gré à gré dans un face-à-face entre l’employeur et le salarié sera forcément toujours plus défavorable qu’une négociation collective pour le très grand nombre.
C’est tout l’inverse qu’il faut faire, la branche doit prendre ces responsabilités pour garantir des salaires justes et réguler les différences sur tout le territoire.
Cet accord propose des augmentations significatives pour certains salariés, mais en contrepartie il gèle une partie importante des rémunérations, ce qui produira à long terme une inévitable baisse de pouvoir d’achat. Financièrement pour ceux qui ont de l’ancienneté et des indemnités en points supplémentaires (formation, implication ; négociation) le jeu n’en vaut pas la chandelle.
Enfin, il délie aussi les salaires entre eux, ce qui produit toujours une baisse de la reconnaissance des niveaux de qualification. Ne pas pouvoir augmenter un niveau sans augmenter les autres garantit de maintenir une certaine équité dans les écarts de niveaux de rémunération. L’évolution des emplois et des besoins des entreprises, toujours plus exigeantes quant à la polyvalence de leurs salariés, implique le recrutement de personnels de plus en plus qualifiés. L’enjeu pour les employeurs est clair, il s’agit à l’avenir de ne pas répercuter sur la masse salariale l’élévation du niveau de qualification.
Pour toutes ces raisons pour la CGT cela aurait été NON !
La CFDT et le SPELC ont fait jouer leur droit d’opposition majoritaire, l’accord ne s’appliquera pas, mais on ne peut pas s’en satisfaire et il est urgent pour nous de reprendre les négociations sur d’autres bases.
Dans ces négociations nous avons milité pour un système débarrassé de l’arbitraire des critères classant, basé sur les métiers avec pour chacun la définition d’une qualification nécessaire et d’une rémunération :
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- CAP : 1,1 fois le SMIC
- BAC : 1,2 fois le SMIC
- BAC +2 : 1,3 fois le SMIC
- BAC + 3 : 1,4 fois le SMIC
- BAC +5 : 1,5 fois le SMIC
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Nous avons aussi défendu des indemnités supplémentaires : pour les salariés étant amenés à faire plusieurs métiers sur leur poste, pour prendre en compte les formations et les niveaux hiérarchiques ou de responsabilité.
Enfin, pour garantir à tous une progression de salaire minimum, nous avons proposé que l’ancienneté garantisse au moins 1,5 fois le salaire d’embauche après une carrière complète.