L’entrée dans le métier de nos collègues et la formation proposée sont des sujets essentiels. La CGT Enseignement Privé vient de mener une grande enquête auprès des stagiaires de l’ISFEC (Institut Supérieur de Formation de l’Enseignement Catholique).
Par ailleurs, c’est l’occasion de faire le point sur la prise en main par Formiris* et les ISFEC* de cette formation, dispensée jusqu’en 2010 par l’Etat au sein des IUFM (devenus les ESPE – Etablissement Supérieur du Professorat et de l’Education).
Tant pour des raisons financières qu’idéologiques, le Ministère a cédé aux demandes du Secrétariat Général de l’Enseignement Catholique qui a donc obtenu de former « ses » enseignants au sein de structures propres. Etat des lieux.
Formiris et ISFEC : organismes spécifiques de l’enseignement privé
328 stagiaires des 1er et 2nd degrés ont répondu à l’enquête de la CGT-Enseignement privé
Il s’agit majoritairement de lauréat·es du Concours Externe (61%), mais aussi de Concours Interne (25%) et de Concours réservés (14%) qui enseignent à tous les niveaux de notre système éducatif 1er degré : 21% – Collège : 43% – Lycées généraux et professionnels : 36%).
Même si on note des disparités importantes, notamment sur l’accès à un matériel informatique parfois défaillant ou des connexions internet aléatoires, les stagiaires, issus de toutes les régions françaises, sont globalement satisfaits des conditions matérielles de leur formation.
La qualité de la relation entre les stagiaires est très bonne (16,2/20), ce qui traduit une solidarité entre les collègues, qui vivent « dans le même bateau » et affrontent ensemble les difficultés. C’est de bon augure.
Une qualité de formation inégale
Plus inquiétant : la qualité de la formation pédagogique proposée est jugée insuffisante par les stagiaires, qui lui attribuent une note de 9,9 sur 20. A noter de grandes disparités entre les réponses sur le sujet. Selon que vous soyez dans une discipline « nombreuse », comme l’anglais, les maths, l’EPS… ou plus restreinte, telles les matières professionnelles, l’allemand ou l’enseignement artistique, la perception est différente. D’un formateur à l’autre, les résultats varient tout autant, puisque 31 % des collègues mettent une note inférieure à 6/20 sur ce critère, alors que 16 % évaluent cette formation pédagogique à plus de 16/20… Une homogénéisation vers de – bonnes – pratiques est donc à souhaiter.
Autre chiffre significatif : 70 % des stagiaires, soit plus de 2 sur 3, considèrent que la formation dispensée à l’ISFEC ne les prépare pas correctement à la réalité du métier d’enseignant. Une formation déconnectée, c’est un vrai souci.
Les collègues sont pourtant demandeurs. Ils ciblent même leurs besoins : 54% des stagiaires souhaitent se former sur « la discipline et la gestion de classe », plus de 50% désirent renforcer leurs savoirs disciplinaires (ce qui peut surprendre, alors que le concours valide le niveau requis dans ce domaine), 43% sur les « réformes en cours » et 44% sur « l’évaluation des élèves ».
Certaines réflexions sont marquantes : un jeune collègue demande « moins d’infantilisation, plus centrer les contenus sur les véritables besoins et les contraintes sur le terrain ».
Bref, c’est du très concret que demandent nos jeunes collègues. Même si la réflexion sur le métier et le système éducatif doit nécessairement occuper une place importante dans ce cursus, il faut les entendre.
Une organisation à revoir
L’organisation pédagogique des ISFEC semble également faire défaut. 81% des stagiaires jugent qu’il est important d’organiser des rencontres simultanées entre les stagiaires, les tuteurs et les formateurs. Ce n’est pourtant fait que dans 44% des cas !
Ces rencontres permettraient sans aucun doute de lever de nombreuses interrogations, et permettraient une meilleure coordination de ce parcours de formation. C’est une piste à explorer d’urgence pour les directions des ISFEC.
Soyons certains que si les formateurs étaient mieux considérés, mieux rémunérés, ils seraient vraisemblablement mieux enclins à passer du temps supplémentaire à l’amélioration de cette organisation pédagogique… L’encadrement des stagiaires ne semble d’ailleurs pas toujours très serein : si 63% d’entre eux ont rencontré leur tuteur dès le début de l’année, ils sont quand même près de 40% à l’avoir vu plus tard… ou jamais (heureusement pour un nombre très limité de stagiaires : 4,1%).
Pour autant, les formateurs font leur boulot… lorsqu’ils en ont les moyens… et sont reconnus par les stagiaires qui attribuent une note de 13,1/20 à la qualité de cette relation.
Public, privé : et si on mélangeait les torchons et les serviettes ?
Sur le contenu toujours, les stagiaires considèrent majoritairement (57%) qu’il ne leur est pas nécessaire de recevoir une formation sur le « caractère propre ». De nombreux commentaires relèvent « trop de cours avec des prêtres », « trop d’heures sur la religion catholique, pas assez sur la pédagogie » ou encore « trop de cours prosélytes et pourtant je suis croyante »…
Conséquence logique – et qui conforte l’analyse que fait la CGT depuis fort longtemps – 70% des stagiaires interrogés considèrent que la formation des enseignants devrait être commune aux collègues du public et du privé, au sein des ESPE ! Et pourtant, on ne mélange plus (c’était le cas auparavant) les torchons et les serviettes…
Nous retrouvons la même problématique lors de la formation continue, avec des programmes de formation distincts pour les collègues du public et du privé, alors que l’on fait… le même métier !
Nos jeunes collègues savent-il seulement qu’ils peuvent choisir de suivre leur formation au sein de l’ESPE, depuis que la CGT a gagné cette possibilité en 2016 ?
Le ministère porte une lourde responsabilité en la matière : dès leur admission au concours, il devrait informer de cette alternative l’ensemble des lauréats, agents publics de l’Etat, dès leur admission au concours.
Une année difficile à vivre !
Cette année de formation pour les stagiaires est lourde. 29% des collègues considèrent « qu’ils ont la tête sous l’eau toute l’année, et que c’est insupportable », quand 56% vivent cette période comme « difficile toute l’année, même s’ils acceptent d’en passer par là »…
Soit une année jugée pénible par 85 % des stagiaires !
Sentiment judéo-chrétien : il faut souffrir pour mériter notre validation…
A la CGT, nous considérons au contraire que cette année de validation devrait être bien plus « bienveillante » à l’égard des jeunes collègues.
Ils devraient pouvoir prendre le temps de faire leur métier correctement, et bénéficier d’un encadrement bien plus « bienveillant ». C’est loin d’être le cas, alors qu’ils sont soumis à des pressions intenses de l’organisme de formation, de l’établissement (élèves, direction, parents), voire… de leur tuteur. Ce petit commentaire laisse perplexe : « l’ISFEC nous accompagne vraiment très mal et ne pense pas du tout à notre bien être en tant que professeur stagiaire, nous qui vivons déjà beaucoup de stress ».
Les lauréats des concours « réservés » semblent les moins bien lotis, puisque 95% d’entre eux considèrent que cette année est vraiment difficile !
Sur le plan matériel, la situation n’est pas simple non plus : 53% des collègues n’ont pas été informés des modalités de remboursement de frais. Il faut parfois faire le grand écart entre le lieu d’habitation, le lieu de formation, et le ou les établissements d’exercice. Les formations sont souvent organisées sur plusieurs lieux éloignés les uns des autres, ce que 93% des stagiaires concernés vivent comme une contrainte. Nombre d’entre eux réalisent plusieurs centaines de kilomètres par semaine. L’année de formation à l’ISFEC, c’est cher, c’est fatigant, c’est une prise de risque… et cela peut mettre en cause des vocations !
Finalement, 62% des stagiaires seront dédommagés, mais majoritairement par le biais d’un forfait souvent versé très tardivement et bien inférieur au coût réel des dépenses engagées. Il est pourtant possible de bénéficier de remboursements au réel… Papa, Maman, vous pouvez me prêter des sous, il faut que j’aille au boulot ! On marche sur la tête…
La parole est donnée aux stagiaires, il faut que ça serve !
Ce questionnaire et ses réponses sont riches d’enseignements. Ils mettent en évidence des points positifs, mais aussi de lourds dysfonctionnements ou des points à améliorer sensiblement. Nous ferons remonter les attentes de nos collègues aux ISFEC, bien entendu, mais également au Ministère, qui doit assumer sa responsabilité d’employeur des maîtres de l’enseignement privé. Il doit exercer un véritable contrôle de la bonne utilisation des fonds publics, qui financent entièrement les ISFEC.
Mais ce questionnaire aura également permis de donner la parole aux stagiaires, qui se résignent bien souvent à garder entre eux leurs états d’âme, de peur de subir des représailles lors de leur année de validation. Ce petit commentaire résume assez bien la situation :
« Voilà, merci de m’avoir permis de vider mon sac. J’en avais gros sur la patate. J’espère que notre exemple servira aux générations futures ».
Dossier réalisé par
Serge VALLET
Bureau National